Lorsque Monique et Sylvain Zuchuat discutent en 1959, peu avant leur mariage, l’introduction du droit de vote des femmes en 1971 était encore loin.
Lorsque Monique et Sylvain Zuchuat discutent en 1959, peu avant leur mariage, l’introduction du droit de vote des femmes en 1971 était encore loin.
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Vers le droit de vote des femmes: souvenirs d’un couple valaisan

Monique et Sylvain Zuchuat étaient mariés depuis 11 ans lorsqu’en 1971 le droit de vote des femmes a été instauré au niveau fédéral. Le jour est historique − mais qu’a-t-il concrètement changé pour le couple valaisan?

Par Lucien François et Simone Klemenz

Lorsqu’ils nous accueillent chez eux, dans leur appartement sédunois, deux questions divisent Sylvain et Monique Zuchuat: faut-il ou non servir du café en ce début de soirée? Après une brève discussion, c’est finalement une bouteille de rouge qui est mise sur la table. Le second différend est plus complexe: ont-ils déjà coché des réponses divergentes sur un bulletin de vote?

Pour le Valaisan de 88 ans, la réponse semble évidente: «Nous avons toujours voté de la même façon.» Monique, de six ans sa cadette, le contredit: «J’ai déjà voté différemment que Sylvain, même si je ne le lui ai pas toujours avoué.» Avant de relativiser: «C’était principalement lors d’élections communales, pour ce qui touchait au choix de certains candidats que je trouvais particulièrement convaincants… ou élégants», dit-elle dans un sourire. «Mais il est vrai que pour les votations fédérales, nous partageons les mêmes points de vue.»

Un jour historique?

Pourtant, que Monique et Sylvain puissent voter tous les deux n’est pas toujours allé de soi. Le couple s’est rencontré à Sion, en 1954, au café du Rallye où Monique travaillait. Pour Sylvain, il ne faisait alors aucun doute: «C’était une star! Et surtout elle me préparait toujours mes chocolats chauds en avance», se souvient-il les yeux rieurs. Le couple se marie en 1960 après s’être perdu de vue quelques années − un évènement heureux qui se sera donc fait un peu attendre.

«C’était une star! Et surtout elle me préparait toujours mes chocolats chauds en avance»

Ce qui se fait aussi attendre, c’est l’instauration du droit de vote pour les femmes: ce n’est en effet que le 12 avril 1970 que les citoyennes valaisannes pourront participer aux votations cantonales et le 7 février 1971, soit près d’un an plus tard, que ce même droit sera entériné au niveau national par un vote populaire. Encore que le terme «populaire» soit à relativiser: seuls les hommes s’étant exprimés sur l’instauration du droit de vote de leurs compatriotes féminines.

C’était le cas de Sylvain Zuchuat, qui, dès les années 1960 s’engage en politique auprès du PDC et qui continue depuis de suivre toutes les élections avec une passion débordante. Il se souvient avoir voté «oui»: «C’était naturel que les femmes puissent voter. Elles prenaient de plus en plus de place dans la vie politique et elles étaient tout à fait capables.»

«C’était quand même un moment important. Nous n’étions plus des domestiques.»

Monique se souvient, elle aussi, de ce jour: «C’était quand même un moment important. Nous n’étions plus des domestiques.» Elle aurait d’ailleurs voté en faveur de l’objet si elle avait pu le faire. Une opinion qui n’était pourtant pas partagée par toutes les femmes: «Il y en avait certaines qui disaient que voter était une affaire d’hommes. Il faut dire que la politique était encore une activité musclée; on allait parfois jusqu’à se battre dans les cafés. Et il était très difficile de s’imposer dans ce milieu en tant que femme», se remémore Sylvain.

Les choses bougent

Pourtant l’instauration du droit de vote des femmes n’est pas vraiment une surprise, ni pour Monique ni pour Sylvain. En dépit de la réputation de conservatisme du canton, c’est bien dans la commune valaisanne d’Unterbäch que le premier suffrage féminin de Suisse est enregistré en 1957. Malgré la mise en garde des autorités cantonales, le conseil communal octroie provisoirement le droit de vote aux citoyennes pour qu’elles s’expriment sur l’instauration d’un service civil obligatoire pour les deux sexes. 33 femmes prennent part au vote.

«Les femmes prenaient de plus en plus de place dans la vie politique et elles étaient tout à fait capables.»

Finalement, ces voix féminines, consignées dans une urne séparée, ne seront pas prises en compte. Mais les évènements haut-valaisans trouvent une résonance jusqu’à Sion, où Sylvain est alors moniteur d’auto-école: «On en a beaucoup parlé. On sentait que les choses bougeaient. C’était un moment historique… mais surtout une bonne publicité pour la région!», renchérit l’octogénaire.

Les temps changent: en 1976, Sylvain se présente au conseil municipal de Sion aux côtés de plusieurs femmes.
Les temps changent: en 1976, Sylvain se présente au conseil municipal de Sion aux côtés de plusieurs femmes.

Ce qui commençait de se dessiner vers la fin des années 1950 devient réalité en 1971. Le couple valaisan est alors marié depuis 11 ans. L’instauration du droit de vote des femmes a-t-elle eu une influence sur leur relation? A-t-elle conduit à des débats enflammés au sein du ménage? Pas vraiment: «Avant chaque élection, nous avons toujours pris le temps de discuter, d’échanger nos avis pour nous mettre d’accord», affirme Sylvain.

«Avant chaque élection, nous avons toujours pris le temps de discuter, d’échanger nos avis pour nous mettre d’accord»

Selon le PDC de 88 ans, pilier du parti régional, l’instauration du droit de vote des femmes se présente d’ailleurs plutôt comme l’aboutissement naturel d’une tendance de fond que comme un point de bascule. Fier, il sort un album photos où sont méticuleusement rangées les images des soirées politiques qu’il organisait. Il tourne les premières pages; peu de femmes sont encore visibles. Mais plus on avance dans le livre, plus on découvre de visages féminins. On repère d’ailleurs Monique, tout sourire et élégante, sur certaines photos: «J’encourageais les femmes à nous rejoindre. D’abord, parce que certaines d’entre elles avaient des têtes bien faites et étaient coriaces… mais aussi parce que ça mettait de l’ambiance!», glisse Sylvain en clignant de l’œil.

Une âme de féministe?

Avec l’extension de ses droits civiques Monique aurait, elle aussi, pu prétendre à une fonction politique. L’idée lui a-t-elle traversé l’esprit? Monique, qui après sa scolarité obligatoire a terminé l’école ménagère, fait signe que non: «Ma formation n’aurait pas suffi.» Et pourtant, la relation qu’elle entretient avec la politique remonte à son enfance: «Je viens d’une famille de passionnés. Mon père et mon frère discutaient énormément de politique à table. Bien sûr, en tant que fille je ne prenais pas trop part aux débats… mais j’écoutais et j’apprenais.» Aujourd’hui, les choses ont bien changé: durant l’entretien, Monique laisse volontiers échapper un ou deux commentaires provocateurs: «Il parle beaucoup, mais ne sait pas tout», dit-elle de Sylvain dans un éclat de rire.

Un couple regarde en arrière.
Un couple regarde en arrière.

Avec son frère, Monique a d’ailleurs participé à de nombreuses manifestations où les candidats présentaient leurs programmes. La jeune femme se souvient y avoir pris la parole pour poser des questions sur les thèmes de la famille ou de l’égalité… Une âme de féministe? Si la participation politique des femmes est un thème qui tient à cœur à l’octogénaire, elle n’a jamais pris part aux grandes manifestations féministes de la fin des années 1960. Cela se passait trop loin pour la Valaisanne et le temps lui aurait manqué: «Au début des années 1970, j’étais déjà mère de trois enfants», rappelle-t-elle.

De la concurrence féminine

L’introduction du droit de vote pour les femmes n’a d’ailleurs pas brutalement changé la vie de Monique. Ses deux années d’échange à Grenchen (Soleure), où la jeune Valaisanne de 17 ans s’est rendue pour travailler dans une usine de montres, est un évènement autrement marquant: «Dans l’usine, hommes et femmes travaillaient ensemble, sur un pied d’égalité», se souvient Monique. «On donnait des responsabilités aux femmes capables et surtout, on écoutait ce qu’elles avaient à dire.» Dans les cafés aussi, où les discussions politiques fusaient, les femmes étaient les bienvenues. C’est avec cette expérience d’ouverture que Monique rentre dans sa terre natale: «Je n’avais plus peur de dire ce que je pensais, de m’affirmer pour faire respecter mes droits et ceux des autres travailleuses.»

«Au début des années 1970, j’étais déjà mère de trois enfants»

En 1976, quelque 18 années après son retour de Suisse allemande, Monique est au téléphone. Sa sœur Juliette est candidate pour la première fois au Conseil général de Sion. «Je devais convaincre un maximum de gens de voter pour elle», précise Monique. Sylvain espère lui aussi obtenir un siège – en dépit de la concurrence féminine. Monique a-t-elle aussi milité pour son mari? «Il allait de toute façon faire suffisamment de voix», nous confie l’octogénaire dans un clin d’œil, avant d’ajouter, complice: «Mais je l’ai évidemment toujours soutenu.»

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